Pour les intéréssés :
INTERVIEW Fusion des Ensta : « Au sein d’IP Paris, nous voulons être l’école des souverainetés » (L. Giovachini, président des deux CA)
« Nous voulons être l’école des souverainetés et de l’ingénierie augmentée par le numérique », déclare Laurent Giovachini, directeur général adjoint de Sopra Steria et président du Syntec, qui cumule dorénavant deux autres casquettes : président du CA de l’Ensta Paris (depuis avril 2020) et président du CA de l’Ensta Bretagne, depuis février dernier. Ce cumul préfigure la fusion des deux Ensta, prévue pour le 1er janvier 2025. Lui-même X/Ensta, ingénieur de l’armement passé dans le secteur privé il y a 16 ans, Laurent Giovachini revient, dans une interview pour AEF info accordée mi-juillet 2024, sur les raisons de cette fusion, sur son insertion dans l’Institut polytechnique de Paris, et sur l’impact de ces évolutions pour les étudiants, pour les personnels, mais aussi pour le territoire breton.
AEF info : Vous avez été nommé président du CA de l’Ensta Bretagne en février dernier, alors que vous occupiez déjà la fonction de président du CA de l’Ensta Paris depuis quatre ans, dans le but de préparer la fusion des deux écoles du ministère des Armées. Où en est ce projet de fusion, annoncé en mars 2022 (lire sur AEF info), et quelles sont les raisons qui la commandent ?
Laurent Giovachini : Il nous a semblé qu’au sein de l’Institut polytechnique de Paris, il nous fallait une école incarnant « l’ingénierie augmentée par le numérique », et que les deux Ensta ensemble seraient plus fortes pour porter cette ambition, avec plus de densité et plus d’impact. Dans IP Paris, il faut de grands pôles forts : le numérique, les statistiques, etc. Le but est notamment de développer la recherche en croisant les disciplines, et de contribuer à la souveraineté et à l’autonomie stratégique françaises. L’Ensta fusionnée sera centrée sur la défense, sur les mobilités, sur l’énergie, sur le maritime, le numérique embarqué et la santé, avec la souveraineté comme axe structurant.
AEF info : Quelles seront les conséquences concrètes qui découleront de cette fusion en matière institutionnelle ?
Laurent Giovachini : Il n’y aura plus qu’un établissement unique disposant de deux campus, l’un à Paris et l’autre à Brest, aussi forts l’un que l’autre. Cet établissement sera membre d’IP Paris, et placé sous la tutelle du ministère des Armées. Il aura vocation à figurer parmi les toutes premières écoles d’ingénieurs françaises (l’Ensta Paris est 2e dans le dernier classement de L’Étudiant, tandis que l’Ensta Bretagne est 17e), en misant sur le fait que, comme cela s’est produit lors de la fusion entre Supaéro et l’Ensica il y a 15 ans, entre deux écoles de niveaux différents, toutes les deux ont été tirées vers le haut. La visibilité de la marque en Europe et à l’international sera centrée sur l’Institut polytechnique de Paris, mais l’Ensta aura un rôle à jouer dans les appels d’offres européens, par exemple. Enfin, ses expertises seront élargies, au service des entreprises notamment.
Sur la partie « mise en œuvre », la fusion officielle interviendra au 1er janvier 2025 : elle a été approuvée par une large majorité des CA (3 votes contre à Paris et 1 à Brest) et devra être présentée au Cneser en septembre, puis passer devant le Conseil d’État. La publication officielle du décret devra intervenir avant le 1er janvier 2025, pour pouvoir installer un DG unique et un président du CA unique. Un DG délégué, placé à côté du DG, sera basé à Brest. Enfin, la rentrée commune s’effectuera en septembre 2026.
AEF info : Quel sera l’impact, pour les étudiants, sur la carte des formations et sur les concours d’entrée ?
Laurent Giovachini : Nos enseignants-chercheurs et personnels travaillent beaucoup sur la carte des formations, en particulier sur le dossier à déposer à la CTI pour les diplômes d’ingénieurs. Il y en aura deux : l’un restera généraliste, l’autre sera un diplôme d’ingénieur spécialiste de défense et de sécurité (qui rassemblera les « Ieta », « ingénieurs des études et techniques de l’armement », et de futurs ingénieurs civils destinés à la base industrielle et technologique de défense). Les deux se feront sous deux modalités, étudiant et apprentissage, et les deux cursus seront dispensés sur les deux campus, même si, en volume, il y aura plus de généralistes à Paris et plus de spécialistes à Brest.
En ce qui concerne les concours, les deux seront sur la banque commune Mines/Ponts : sur le concours commun pour la filière généraliste, et sur le concours Mines/Télécom pour les spécialistes. Plus tard, si comme le préconise le COS d’IP Paris, nous créons un concours « IP Paris », nous recruterons alors par ce biais.
À noter qu’à titre transitoire, les étudiants recrutés en 2024-25 ne connaîtront pas de changements, mais rejoindront ensuite une association d’alumni unifiée, comprenant plus de 20 000 anciens.
AEF info : Qu’en sera-t-il pour les personnels ?
Laurent Giovachini : Les personnels des deux écoles étant déjà sous la même tutelle et ayant les mêmes modalités de gestion, il n’y aura pas beaucoup de changements pour eux. Il n’y aura aucune mobilité forcée, ni aucune suppression de postes.
AEF info : Comment allez-vous inscrire cette nouvelle école fusionnée dans le cadre plus global d’IP Paris : quelle sera sa place et en quoi sera-t-elle différente d’aujourd’hui ?
Laurent Giovachini : Nous voulons être l’école des souverainetés et de l’ingénierie augmentée par le numérique. Nous apportons à l’ensemble un renforcement sur le maritime, la robotique multi-environnements, l’IA et le quantique appliqués aux systèmes complexes : c’est notre créneau dans IP Paris. Beaucoup de nos laboratoires seront concernés par cette fusion et ils contribueront naturellement aux départements d’enseignement et de recherche d’IP Paris : chimie des procédés, mécanique et énergétique, physique, Data et IA, mathématiques, sciences sociales et management, etc., et un nouvel axe « Mers et Océans » sera créé dans IP Paris. Les grands fonds marins sont un nouvel espace de conflictualité, et le fait qu’IP Paris ait un « harpon » à Brest a du sens. Nous aurons une insertion quasiment naturelle dans cet ensemble, comme l’a noté Thierry Coulhon lors de sa visite à Brest.
AEF info : La « souveraineté » ne sera pas un positionnement propre à l’Ensta dans l’ensemble IP Paris, puisque Polytechnique est aussi un acteur majeur en la matière…
Laurent Giovachini : L’X est une école hypergénéraliste, qui a des « suites » dans ses écoles d’application. C’est une école militaire, mais pas une école qui apprend à travailler dans la défense, ni dans les technologies de défense. Notre créneau, à l’Ensta, est la souveraineté dans la défense. L’ingénierie augmentée par le numérique est un concept qui désigne notre apport sur les systèmes complexes, ce qu’on appelait avant les « technologies avancées » : c’est du « phygital », c’est-à-dire qu’il y a toujours une dimension physique, mécanique, dans les objets complexes sur lesquels nous travaillons, comme les centrales nucléaires, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins… Il y a un système autonome complexe (robot, voiture sans pilote…), avec beaucoup de numérique dedans. C’est la gestion et la conception de cette complexité qui est dans l’ADN de l’Ensta, la plus ancienne école d’ingénieurs de France, crée à l’origine pour le génie maritime en 1741.
AEF info : Regardons maintenant le sujet sous son aspect « breton » : quelles conséquences aura cette fusion sur les partenariats locaux de l’Ensta Bretagne, notamment dans le cadre du projet d’EPE de l’université de Bretagne Occidentale ?
Laurent Giovachini : Nous continuerons d’avoir des partenariats avec l’UBO, l’Enib, l’UBS, l’École navale et l’IMT Atlantique via le campus breton de l’Ensta. Toutes les collaborations vont se poursuivre, chaires, laboratoires, formations, etc. La nouveauté est que l’Institut polytechnique de Paris devient lui-même un acteur de l’ESR breton, et il y a là plus d’opportunités que de risques pour ce dernier. Il y a une vraie dimension bretonne au projet. Au départ, il a existé une crainte, au niveau local, que le campus de Brest devienne « une annexe » d’IP Paris, mais on a bien expliqué qu’il resterait puissant, que les liens seraient maintenus avec les acteurs locaux, et que le maritime devenait un axe à part entière d’IP Paris. Cela a rassuré et c’est maintenant perçu comme une occasion de ne pas rester dans un écosystème breton fermé.
L’apport du projet pour la région Bretagne avait d’ailleurs été identifié dans l’étude de faisabilité : y étaient pointés un ensemble plus fort, plus visible et influent dans la région Bretagne, et une trajectoire de recherche commune, avec le nouvel axe scientifique ambitieux sur la thématique « Mers et Océans ». Les différents acteurs locaux, politiques et académiques, ont réagi positivement à ce projet, avec une attention particulière portée à l’équilibre entre les deux campus. Aujourd’hui, je crois qu’il n’y a plus d’inquiétude majeure.
Cela a nécessité plus de discussions avec les alumni de l’Ensta Paris, à cause de la différence de niveau entre les deux écoles, mais l’idée a là aussi fait son chemin.
AEF info : Et quid, plus spécifiquement, du projet d’EPE : en ferez-vous partie ?
Laurent Giovachini : Nous aurons toute latitude de conclure des partenariats centrés sur des sujets communs (co-accréditation de formations, laboratoires communs…), mais c’est plus difficile de s’avancer sur les aspects institutionnels. Notre rattachement fort et principal restera IP Paris, mais cela n’exclut pas différentes façons de travailler ensemble, sur des partenariats concrets.
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